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Les didacticiens et les pédagogues n’ont pas à se réjouir de ces
nouveaux concours. La forte coloration « professionnelle » des épreuves
est un cadeau empoisonné. Cette caricature achèvera les didactiques et
la pédagogie". André Ouzoulias , ancien professeur d'IUFM, juge les
nouvelles maquettes des concours catastrophiques. Pour lui elles
abaisseront le niveau des futurs professeurs.
Le
ministère de l’éducation nationale (MEN) a mis en ligne le 19 avril six
projets d’arrêté fixant l’organisation des nouveaux concours de
recrutement des enseignants (CRPE, CAPES, CAPEPS, CAPLP, CAPET) et du
nouveau concours de recrutement des conseillers principaux d’éducation
(CPE). La première session de ces nouveaux concours aura lieu au
printemps 2014 et sera ouverte aux étudiants inscrits en première année
de master (ou de niveaux supérieurs : inscrits en deuxième année de
master, titulaires d’un master complet ou d’équivalences, etc.). Ces
projets d’arrêté définissent les épreuves de chaque concours en
application d’une « maquette générique » publiée par le MEN (1)
(2) en janvier dernier, laquelle énonçait des principes valables
pour les six concours.
Avant toute chose, il convient de resituer ces concours dans le
scénario de recrutement-formation retenu actuellement par Vincent
Peillon et Geneviève Fioraso :
- le concours a lieu en fin de première année de master ;
- pour
les lauréats, la seconde année de master est consacrée pour l’essentiel
au stage, avec une obligation de service à 50 %, sous le double statut
d’étudiant et de fonctionnaire stagiaire.
Ce faisant, avec ce scénario que les parlementaires n’ont pas été
invités à discuter (les questions cruciales comme la place du concours,
la conception et la durée de la formation, le financement des études et
de la formation, etc. ne sont pas abordées dans le projet de loi), on
revient au dispositif qui prévalait avant la désastreuse réforme
Darcos-Pécresse, soit avant 2009, mais en pire (avec de nombreuses
contraintes supplémentaires et une durée de stage très augmentée en
deuxième année). La première année sera, comme elle l’était avant 2009,
une année de bachotage. Les étudiants chercheront, avant toute chose, à «
assurer au concours » et, comme on l’observait avant 2009, ils ne
s’investiront guère dans les stages d’observation ou de pratique
accompagnée qui pourront leur être proposés. Du reste, il semble que
ceux-ci ne seront pas obligatoires… Tant pis pour les exigences d’une
formation organisée sur le modèle d’une alternance progressive !
En seconde année, l’exigence d’enseigner de septembre à juin à 50 %
(au lieu de 33 à 40 % avant 2009) ne laissera aux stagiaires qu’un peu
plus d’une journée par semaine pour travailler avec leurs formateurs du
master (l’année de M2 offrira entre 250 et 300 heures de formation hors
stage au lieu de 450 environ avec les masters actuels). Disons-le
nettement, la qualité de la formation est ainsi très compromise en
seconde année. Cela rendra quasiment impossible la réflexion du
stagiaire sur l’activité des élèves telle qu’il peut l’observer lors du
stage et sur les processus cognitifs, émotionnels et sociaux par
lesquels passent leurs apprentissages effectifs (ou qui se reflètent
dans leurs erreurs). Tant pis pour les exigences de « l’articulation
théorie-pratique » !
Les alchimies les plus expertes ne peuvent pas changer le plomb en or
: le dispositif global étant structurellement très mauvais, les
meilleures épreuves ne le rendraient pas plus acceptable. Si l’on est en
droit d’analyser la nature de ces épreuves, c’est donc bien en gardant à
l’esprit le contexte dans lequel elles s’inscrivent.
Un risque sérieux d’affaissement des connaissances disciplinaires pour les enseignants du primaire
Les six maquettes spécifiques sont fidèles à la maquette générique.
Comme celle-ci le prescrivait, elles donnent la priorité aux «
compétences professionnelles en cours d’acquisition ». Ainsi, si l’on
prend l’exemple du CRPE (concours de recrutement des professeurs des
écoles), la part du didactique est de :
- 13 points sur 40 pour la première épreuve d’admissibilité (épreuve de français et didactique du français),
- 14 points sur 40 pour la seconde épreuve d’admissibilité (épreuve de maths et didactique des maths),
- 60 points sur 60 pour la première épreuve d’admission (épreuve didactique dans un domaine au choix du candidat) (3),
- 100 points sur 100 pour la seconde épreuve d’admission (didactique
de l’EPS + entretien sur une « situation professionnelle »).
Comme prévu par la maquette générique, le coefficient des épreuves
orales d’admission vaut 2/3 de la note (160 sur 240). Or, comme on le
voit dans le cas du CRPE, les épreuves d’admission étant exclusivement
orientées vers l’évaluation des compétences professionnelles, la part
globale des connaissances académiques est vraiment très maigre. Bien
sûr, il est difficile de séparer connaissances académiques et
connaissances didactiques, mais sur 240 points, seuls 53 points, soit 22
%, visent à vérifier explicitement la maîtrise par les candidats des
connaissances académiques indispensables au futur professeur des écoles.
Autant dire que les formations de première année de master (M1) seront
essentiellement consacrées à la didactique ; la maîtrise des savoirs
académiques y sera forcément un enjeu secondaire.
L’EPS est ici un exemple presque caricatural : les candidats seront
interrogés sur la didactique de l’EPS à l’école primaire (enjeu : 40
points) mais, pour la première fois dans l’histoire des concours de
recrutement des enseignants du primaire, on n’exigera plus aucune
activité physique ou sportive de ces candidats. Même Xavier Darcos, sous
la pression des professionnels, avait dû rétablir cette partie de
l’épreuve, alors que, dans un premier projet, il en envisageait la
suppression. C’est ainsi que les derniers concours comportent encore, au
choix, une course de 1500 m ou une activité d’expression (danse).
Certes, l’épreuve d’EPS était optionnelle mais en la rendant à nouveau
obligatoire, le ministère vient de supprimer carrément la partie «
activité physique ou sportive ».
Dans le premier degré, l’affaissement des connaissances académiques
et disciplinaires des futurs enseignants résultera aussi du faible
nombre de disciplines que le concours les obligera à réviser. Depuis
2009, sur les 13 disciplines enseignées à l’école primaire, les
candidats étaient évalués sur 10 d’entre elles (en épreuves
d’admissibilité : français, histoire, géographie, histoire des arts,
instruction civique et morale, mathématiques, technologie et sciences
expérimentales c’est-à-dire physique et biologie ; en épreuves
d’admission : expression musicale ou arts visuels ou EPS).
Avec le nouveau concours, ils ne seraient évalués que sur 4
disciplines (en épreuves d’admissibilité : français et mathématiques ;
en épreuves d’admission : EPS et une discipline au choix parmi les
sciences et technologie, histoire, géographie, histoire des arts, arts
visuels, éducation musicale, instruction civique et morale) (4) .
On peut s’attendre, par voie de conséquence, à une réduction sérieuse
et générale des horaires de formation dans les disciplines autres que
les 3 retenues comme « fondamentales ». C’est ainsi, par exemple, que le
master PE (professeur des écoles) de l’ÉSPÉ de l’académie de Créteil
prévoit d’ores et déjà 25 heures de formation en histoire et géographie
(tout compris, connaissances académiques et didactiques) au lieu de 52
actuellement. Cette situation est vraiment alarmante.
Amplifiant ce phénomène, de nombreux candidats géreront leurs
priorités en négligeant les disciplines absentes du concours. Celles-ci
seront du même coup regardées comme de « petites disciplines ». Quelle
cohérence y a-t-il ici avec les déclarations de Vincent Peillon sur le
projet d’une « éducation libérale » qui devrait permettre à tous les
enfants d’accéder aux œuvres de la culture (5) ? Le ministère de
l’éducation nationale a-t-il pratiquement renoncé à la polyvalence des
maîtres du primaire ? Est-il en train d’anticiper les effets de la
réforme des rythmes scolaires qui pourrait voir à terme les « petites
disciplines » artistiques et d’autres prises en charge par les
collectivités territoriales dans le cadre des activités périscolaires ?
En tout cas, ce nouveau concours modifiera fortement l’identité
professionnelle des enseignants du primaire, très liée jusqu’ici à la
polyvalence.
Et les CAPES ?
Les projets de CAPES paraissent suivre la même logique de forte
coloration didactique des épreuves. Il y a donc là le même risque de
voir s’affaisser le niveau de maîtrise des savoirs académiques. Comme le
dit le GRFDE à propos de la maquette générique (6) : « les
auteurs […] considèrent que les connaissances acquises en licence sont
un ”socle” suffisant pour développer les capacités à enseigner. Or, il
faut le dire clairement : dans la plupart des disciplines, depuis que la
réforme LMD a diminué significativement les volumes horaires
d’enseignement dans le premier cycle universitaire et, un peu plus
encore après que la réforme récente de la licence a instauré une plus
grande continuité avec le lycée et une spécialisation disciplinaire très
progressive, la maîtrise des connaissances à l’issue de la licence
s’avère absolument insuffisante pour enseigner l’ensemble des programmes
du secondaire, de la sixième à la terminale. »
Alors qu’il faudrait, avant l’année de stage, approfondir les
connaissances académiques et disciplinaires — c’est indispensable — tout
en découvrant progressivement les enjeux culturels, sociaux,
pédagogiques et didactiques du métier, avec ces nouveaux concours, pour
les CAPES comme pour le CRPE, le centre de gravité de la première année
du master ne sera pas la qualification académique et l’on ne pourra pas
rectifier le tir en seconde année.
Certes, les pratiques varieront selon les disciplines du CAPES. Il
est certain que les jurys, par le choix des sujets et le guidage des
correcteurs, joueront un rôle déterminant dans la traduction pratique
des textes officiels. La forte coloration professionnelle annoncée sera
sûrement atténuée par nombre de jurys. Mais ils ne pourront pas
l’empêcher, le cadre des épreuves et leurs coefficients vont dégrader la
qualité de la formation disciplinaire des enseignants du secondaire en
première année de master, semblablement à ce qui se passera pour les
futurs enseignants du premier degré.
Quant à la composition de ces jurys, le projet ne garantit toujours
pas que les candidats auront à faire à des personnels au fait des
enseignements didactiques prodigués durant la première année de master.
Ce problème touche tout particulièrement les jurys du CRPE, comme on le
constate aujourd’hui dans maintes académies.
Le retour de l’épreuve « Agir en fonctionnaire… » ?
Il faut signaler aussi que l’épreuve « Agir en fonctionnaire de
l'État et de façon éthique et responsable » des concours actuels, sortie
par la porte, semble revenir par la fenêtre, en seconde partie de la
première épreuve d’admission du CRPE. Comment interpréter autrement ce
passage : « La deuxième partie de l’épreuve vise à apprécier [la]
capacité [du candidat] à se situer comme futur agent du service public
(éthique, sens des responsabilités, engagement professionnel), ainsi que
sa capacité à se situer comme futur professeur des écoles dans la
communauté éducative » ? On retrouve les termes « responsabilité » et «
éthique », mais la locution « fonctionnaire de l’État » est remplacée
par « agent du service public ». Notons au passage que le ministère
prend ainsi le risque de confondre dans une même catégorie, celle des «
agents du service public », les enseignants recrutés par l’éducation
nationale et ceux recrutés par les écoles privées sous contrat,
lesquelles, on le sait, prétendent exercer une mission de « service
public ».
Sur le fond, cette partie du concours reste discutable pour les mêmes
raisons qu’auparavant (7). S’agissant du moment de l’évaluation, si
l’on envisage une interrogation exigeante sur des éléments de
législation et de réglementation, c’est légitime mais peu utile au stade
du concours. Certes, d’un enseignant qui veut devenir inspecteur ou
chef d’établissement, on est en droit d’exiger une connaissance exacte
et systématique des textes des lois et des règlements et c’est un
préalable évident. Mais peut-on exiger la même chose d’un étudiant avant
qu’il entre dans son rôle d’enseignant ? Que le futur professeur des
écoles dispose des connaissances de base en ce domaine — qu’il saura
approfondir ensuite — cela peut fort bien se vérifier après le concours,
à la fin de l’année de stage.
S’agissant de la modalité d’évaluation, si l’on veut vérifier que le
futur enseignant agira de façon « éthique et responsable », à supposer
que cette évaluation « pronostique » soit légitime, cela ne peut se lire
que dans ses actes. En effet, est-ce prendre au sérieux cette dimension
de la relation pédagogique si on laisse croire qu’elle peut se résumer à
un exposé oral lors d’une épreuve de concours ? Là encore, c’est plutôt
à la fin de l’année de stage qu’elle peut être prise en compte, avec
les autres compétences du maître débutant, à travers un regard porté sur
le travail de toute une année.
Quant au champ d’une épreuve au moment du concours, on peut bien sûr
concevoir une interrogation destinée à évaluer la simple connaissance
par le candidat des grands cadres législatifs qui fondent notre système
éducatif et des valeurs de l’école de la République. Mais s’agissant des
valeurs, elle pourrait difficilement vérifier que le candidat les a
faites siennes. Qui peut penser en effet que cela soit possible en toute
sincérité dans un concours ? Le candidat opposé à la laïcité de l’État
et de l’école publique prendrait-il ce risque devant un quelconque jury ?
Quoi qu’on y fasse, cette épreuve est viciée. Dans le meilleur des
cas, le jury entendra des discours sincères mais convenus et sans
rapport avec les tensions réelles du métier et les contradictions de la
pratique. Le plus souvent, il entendra les propos que les candidats
croiront devoir tenir « pour avoir le concours ». Est-ce bien une façon
de prendre l’éthique et le sens des responsabilités au sérieux ?
Comme l’a fait ici même Jean-Louis Auduc (8), il faut enfin signaler
une bizarrerie de cette épreuve : elle n’est pas demandée aux candidats
au CAPES. Le ministère de l’éducation nationale juge-t-il que leur
moralité soit a priori plus assurée que celle des candidats au CRPE ? On
peut aisément anticiper que les syndicats d’enseignants du primaire
vont unanimement demander la suppression de cette partie de la première
épreuve d’admission, ne serait-ce que pour rétablir l’égalité entre les
candidats de tous les concours.
Les épreuves à coloration « professionnelle » : superficielles, illusoires et pernicieuses
La maquette générique disait : « Le recrutement a lieu en cours de
formation initiale ; les compétences professionnelles sont donc
appréciées alors qu'elles sont en cours d'acquisition. En
conséquence, le modèle est construit afin qu'aucune des compétences
évaluées ne nécessite une expérience professionnelle approfondie. »
Mais, à supposer que cette exigence d’évaluer les « compétences
professionnelles », même de manière superficielle (puisqu’elles « ne
nécessitent pas une expérience professionnelle approfondie ») soit prise
au sérieux par les jurys, comme les candidats n’auront aucune
expérience professionnelle effective du métier (les stages en
responsabilité n’ont lieu qu’après le concours), elles seront évaluées «
hors-sol », très loin du contexte réel de travail. C’est l’inspecteur
général Jean-Pierre Obin qui disait, dans un interview à AEF le 31
janvier : « Il n’y a pas de compétences évaluables sans élèves ! Pour
les épreuves orales, comment voulez-vous juger de la pertinence et de la
qualité d'un geste professionnel sans élèves ? C’est comme si, au CAP
de menuisier, on donnait tous les outils mais pas de bois ! C’est un
exercice d’acteur, et on sait qu’actuellement, c’est bien ce qui se
produit. Mesurer une compétence professionnelle ne peut se faire que
devant des élèves. »
Si l’on veut défendre la didactique et la pédagogie, si l’on veut les
prendre au sérieux, on ne peut que refuser cet exercice. Il est
superficiel, illusoire et pernicieux.
Superficiel : avec lui, les concours tomberont dans le même travers
que ceux d'avant 2009, les candidats pratiqueront la même répétition mal
maîtrisée des discours didactiques et pédagogiques dominants, le plus
souvent en servant au jury des stéréotypes en lieu et place d’un
authentique questionnement et d’une approche critique des questions
professionnelles.
Illusoire : les candidats les mieux notés seront les plus performants
dans cet art discursif, mais ils ne feront pas forcément les meilleurs
profs. Évaluerait-on la capacité d’un futur conducteur d’automobile à
réaliser un créneau en lui demandant de décrire ses gestes successifs
pour se garer en ville ? Non, bien sûr. Pourtant, pour le permis de
conduire, si l’on suivait la logique adoptée dans ces nouveaux concours,
on introduirait de telles questions de conduite dans les épreuves du
code. Et — effet pervers de ces épreuves dites « professionnelles »
— l’année suivante, durant leur stage, de nombreux lauréats seront
convaincus d’avoir montré leurs compétences professionnelles au moment
du concours quand d’autres se diront, face aux difficultés, que les
épreuves et les enseignements de M1 étaient à côté du réel.
Pernicieux : les candidats ne chercheront pas à exprimer une pensée
personnelle, à dire ce qui est juste et vrai selon leur intime
conviction, mais à exprimer ce qu'ils croiront devoir dire pour séduire
le jury et à se maintenir dans le discours « pédagogiquement correct »
qu’ils croiront attendus d’eux.
Les didacticiens et les pédagogues n’ont pas à se réjouir de ces
nouveaux concours. La forte coloration « professionnelle » des épreuves
est un cadeau empoisonné. Cette caricature achèvera les didactiques et
la pédagogie laissées agonisantes après la réforme désastreuse de
Darcos-Pécresse. Elle conduira à se contenter d’une formation
pédagogique très superficielle et créera les conditions
institutionnelles de dérives dogmatiques.
Au total, alors que la réforme était censée construire une
authentique formation au métier d’enseignant et stimuler l’appropriation
pratique et théorique des savoir-faire professionnels, on réussira le
tour de force de métamorphoser la didactique et la pédagogie en choses
apprises dans les livres pour les besoins d’un concours, sans rapport
avec une expérience pratique effective. Disons-le clairement : c’est une
parodie de formation pédagogique !
Une dégradation historique
Le nouveau gouvernement avait tous les moyens politiques et
budgétaires de mettre en œuvre une réforme historique de la formation
des enseignants, à la hauteur de l’ambition proclamée de réaliser une
École de la réussite pour tous. Mais ce qui se prépare, sans que le
Parlement en débatte vraiment, c’est une combinaison incohérente
d’anciennes recettes.
Ainsi, après avoir ramené le cadre formel de la formation initiale de
trois ans (2 années de master + 1 année de stage) à deux ans (l’année
de stage se confondra avec la deuxième année de master), le ministre
Vincent Peillon revient au scénario d’avant 2009 avec un concours au
milieu des deux ans de formation initiale, mais en pire (plus de
contraintes pesant sur la formation, un durée de stage en responsabilité
trop grande en M2, pas de gestion des flux…). On garde certes le cadre
du master, mais c’est un ersatz de master : on ne se donne pas les
moyens de mettre en œuvre une formation par et à la recherche ; en M2,
les mémoires de recherche seront en fait des rapports de stage, comme
avant 2009. Personne n’était satisfait de cette formation et c’est
probablement la raison pour laquelle, au moment de la réforme
Darcos-Pécresse, malgré la régression évidente qui en résultait, il n’y
pas eu de vaste mouvement dans les écoles, collèges et lycées pour
défendre le dispositif antérieur. Un simple retour en arrière à avant
2009 n’aurait pas été compréhensible. Mais le ministère de Vincent
Peillon s’apprête à faire pire ! Pourquoi ?
Au total, au lieu du grand projet annoncé, on verra s’affaisser le
niveau de formation académique, singulièrement pour les futurs PE. Or,
on ne peut nullement viser une meilleure formation pédagogique si on
dégrade simultanément la formation académique. Mais, de surcroît, la
formation pédagogique ne sera pas améliorée. Elle restera superficielle
si, comme on le voit ici, elle se résume en première année de master à
la préparation des épreuves, et en seconde année, à la pratique du
métier sans un temps organisé pour l’observer, l’analyser et la
réajuster. Autrement dit, au total on conjugue une alarmante dégradation
du niveau de maîtrise des savoirs avec une formation pédagogique
inconsistante.
On peut comprendre l’amertume des formateurs à qui on demande de
mettre en scène ce pauvre scénario. Et ce n’est sûrement pas ainsi que
l’on résoudra la crise historique du recrutement.
Y a-t-il encore une issue ?
À ce stade, peut-on imaginer une remise à plat de la réforme ? Cela
dépend du Sénat qui pourrait par exemple adopter les 7 amendements
défendus par le GRFDE (9) . Cela conduirait à mettre en place, pour les
lauréats d’un concours sur critères disciplinaires situé en L3, une
formation académique et pédagogique de qualité en trois ans, en
alternance progressive, sanctionnée par un master et rémunérée (10).
Rappelons que ce dispositif serait beaucoup moins coûteux pour les
finances publiques que celui retenu par Vincent Peillon et Geneviève
Fioraso (11). On peut espérer que les parlementaires soient également
sensibles à cet aspect budgétaire du dossier.
Cela dépend aussi des acteurs de la formation eux-mêmes : par des
votes clairs et fermes de refus de cette réforme dans les CEVU (Conseil
des études et de la vie universitaire) et CA (Conseil d’administration)
des universités et les CE (Conseil d’école) des IUFM, ils ont le moyen
d’exiger et d’obtenir que l’année transitoire 2013-2014 serve à
organiser une réflexion sérieuse, sans précipitation, sur l’ensemble du
dossier pour mettre en œuvre une authentique reconstruction de la
formation des enseignants à la rentrée 2014. Ils ne doivent pas avoir
peur : personne ne veut, personne ne peut conserver les choses en
l’état. Et s’ils agissent ainsi, ils sont dans leur rôle : ils ne
défendent pas des positions corporatistes, ils sont eux aussi
dépositaires de ce bien commun, la formation des enseignants de la
République.
Mais ils doivent agir sans tarder. Le temps presse.
André Ouzoulias
professeur agrégé honoraire de Philosophie, Université de Cergy-Pontoise (IUFM),
directeur de la collection Comment faire (coédition CRDP de l'Académie de Versailles-Retz),
cofondateur du Groupe Reconstruire la formation des enseignants (GRFDE).
Sur les nouvelles épreuves des concours
Et le point de vue différent de JL Auduc
Notes :
1 Ce texte doit beaucoup à la relecture et aux remarques de mon
collègue et ami Didier Frydman, professeur agrégé d’Histoire à l’UPEC
(IUFM de l’académie de Créteil) et cofondateur du GRFDE. Qu’il trouve
ici l’expression de ma très vive reconnaissance.
2 http://www.cafepedagogique.net/searchcenter/Pages/Results.aspx?k=maquette%20générique
3 On voit revenir ici une épreuve sur un dossier fourni par le
candidat alors que cette modalité avait disparu en 2006 en raison des
grandes inégalités qu’elle engendrait.
4 La formulation retenue laisse même penser que les candidats
pourront choisir, lors de leur inscription, histoire ou géographie, ce
qui les conduirait ainsi à négliger une discipline de plus.
5 Vincent Peillon, 16 avril 2012, au Monde (chat des lecteurs)
: « Les apprentissages fondamentaux sont essentiels, mais l’école
de la République, depuis Jules Ferry, dont je reprends l’expression, a
toujours voulu dispenser une “éducation libérale“, c’est-à-dire
permettre à tous les élèves d’avoir accès aux œuvres de la culture. »
6 http://grfde.eklablog.com/m-peillon-abandonnez-le-tres-mauvais-projet-actuel-faites-la-reforme-q-a80080611
7 Qu’on me pardonne de reprendre ci-après un passage d’une tribune pour le SNUIPP :
http://www.snuipp.fr/Tribune-d-Andre-Ouzoulias L’analyse qui était
faite à l’époque de l’épreuve « Agir en fonctionnaire… » n’a rien perdu
de son actualité.
8 http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/01/21012013Article634943409409442871.aspx
9 http://grfde.eklablog.com/le-grfde-propose-sept-amendements-au-projet-de-loi-d-orientation-a79858273
10 Le GRFDE propose aussi, pour les titulaires d’un master, une entrée directe en M2 via un concours spécifique.
11 http://grfde.eklablog.com/mieux-former-en-depensant-moins-chiffrage-comparatif-de-nos-propositio-a64643917